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L’avocat et son jargon juridico-judiciaro-légaliste

On n’a de cesse de critiquer ces professionnels du droit qui parlent un langage que personne ne comprend. Qui est inaccessible au profane. On aime haïr ces avocats qui manient un vocabulaire technique, qui maîtrisent la définition de mots abscons, ces avocaillons et leur logorrhée abstraite qui n’appartiennent qu’à eux et à leur petit univers étroit voire sectaire.

La maîtrise de ce langage crypté et mystérieux est elle le signe d’une supériorité ? d’une caste ? Y a-t-il une part de fantasme de profane frustré ou est-ce le reflet d’une réalité, d’une vérité qui serait celle de professionnels soucieux de se protéger de la foule d’indigent et d’inculte et de pratiquer un entre-soi rassurant grâce auquel on reconnait ses pairs ?

Quelques éléments de réponse dans cet article qui, dans un effort de sincérité, tente de décrire les travers langagiers les plus courants chez les avocats.

Le mystère des sigles chez les pénalistes

Lequel d’entre nous, juriste aguerri ou profane égaré n’a jamais entendu un avocat pénaliste discuter avec son confrère dans les couloirs du palais, entre deux audiences, ou en fumant une cigarette de trop sur les marches du palais :

« t’as vu, le juge a rendu son ORTC dans le dossier de stup ! » : l’ORTC est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel lorsqu’une instruction a été ouverte dans le cadre d’une affaire délictuelle … vous ne comprenez toujours pas ? Ne vous inquiétez pas … il s’agit juste de types qui vont se faire juger pour trafic de stupéfiants …

« j’ai un JLD à 13h pour un placement en DP » : Le JLD est le juge des libertés et de la détention qui est un magistrat du siège du tribunal de grande instance qui possède diverses attributions en matière de respect de la liberté individuelle, et notamment en matière de DP, c’est-à-dire de détention provisoire, qui permet de placer en détention quelqu’un qui a été mis en examen (on écrit souvent MEE pour aller plus vite) en attendant son jugement … Il s’agit en gros de savoir si le type va dormir en prison alors qu’on n’est même pas sûr qu’il ait fait quelque chose.

« je suis allé négocier ma DML que j’ai déposé au greffe du JI … » : une DML est une demande de mise en liberté que l’on peut déposer par exemple si notre client est placé en DP (maintenant vous savez), auprès du JI qui est le juge d’instruction (il faut reconnaitre que c’est un sigle utilisé plus souvent à l’écrit qu’à l’oral) chargé de l’information judiciaire … Bon, il s’agit de faire sortir le type (présumé innocent je vous le rappelle) de prison … rien de bien sorcier.

« J’ai une CPRC dans un petit dossier de CEA cet après-midi … » : ces sigles sont incontournables pour tout pénaliste (avocat exerçant en droit pénal) qui se respecte. Surtout le premier, qui n’est jamais prononcé que comme tel (« CRPC ») et jamais comme ce qu’il signifie c’est-à-dire comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La CEA est une conduite en état alcoolique. Donc pas de panique ! Il s’agit juste d’un plaider-coupable (à l’américaine, ça vous parle peut-être plus) pour un type qui a conduit après avoir bu … un « roulé-bourré » dans notre jargon.

« t’as lu l’OMA rendue dans le dossier viol ? » : Au même titre que l’ORTC, qui maintenant n’a plus de secret pour vous, l’OMA est une ordonnance rendu par le JI mais cette fois-ci en matière criminelle et non délictuelle. C’est l’ordonnance de mise en accusation, qui vient clore l’instruction pour une affaire de viol en l’espèce (le « en l’espèce » fera l’objet de développements ultérieurs).

Et enfin … le pire de tous … le premier des sigles, qui est à l’origine de tous les autres car utilisé par des générations successives d’apprentis avocats impatient de sauter dans le grand bain … :

« on se voit à l’EFB ? » …

Cette phrase est le refrain chanté par tous les élèves avocats dont nous sommes, et permet de commencer créer un cercle, une communauté de personnes qui finiront par maîtriser tous les autres sigles (nous en oublions beaucoup, ils sont innombrables : CI ou COPJ, CP pour code pénal, CPP pour code de procédure pénale, CPC pour code de procédure civile, CGI pour code général des impôts ou encore CGCT pour code général des collectivités territoriales …), mais qui nous l’espérons seront de plus en plus nombreux à faire connaître au grand public la signification de tout ce charabia qui éloigne le juriste sachant du profane indigent.

L’apparition de mots inattendus et inconnus dans la bouche des avocats

Usufruit, antichrèse, anatocisme, usucapion, acquêts, putatif, PRECIPUT ! … la liste est longue … « déconfiture » ou « caducité », « ligne collatérale », « fente successorale » ou « jouissance privative », « servitude de halage » ou « clause léonine », « pacte tontinier » ou « pacte commissoire » … Nous le disions, l’avocat maîtrise un vocabulaire qui échappe à la plupart. Un conseil, n’ayez pas peur : demander sans avoir honte la définition à celui qui vous parle chinois. Ou alors, achetez le dictionnaire juridique de Gérard Cornu et passez des nuits agitées à le feuilleter nerveusement en espérant un jour pouvoir dialoguer d’égal à égal avec un vieux routier des chambres civiles …

Les petites expressions qui n’appartiennent qu’à eux

Il faut que vous sachiez une chose : la lecture quotidienne des arrêts de la Cour de cassation et des textes légaux déforme la pensée et son expression. Au-delà du fait qu’elle assèche l’âme et rend la plupart d’entre nous infirmes de l’imagination, elle fait aussi apparaitre des tics de langages assez surprenants. Veuillez nous excuser.

Il est possible, pas si fréquent mais possible, qu’un avocat, au lieu de commencer une phrase comme tout le monde par « étant donné que … » ou « puisque … », laissera échapper un « Attendu que » … Ce qui veut dire la même chose mais en plus sophistiqué et donc moins compréhensible.

Dans la même veine, cet avocat, continuant sa diatribe, au lieu de vous dire « en l’occurrence » vous sortira un petit « en l’espèce » furtif qui vous fera culpabiliser de vous demander de quelle espèce il veut parler … il vous humilie surement parce qu’il est juste triste d’avoir « en l’espèce pris deux fois les réquiz’ » ce qui veut dire que le tribunal a condamné son client a deux fois plus que ce qu’avait demandé le procureur (représentant de la société dans un procès pénal) dans le dossier qu’il avait plaidé.

Le maintien d’une langue morte chez les avocats vivants

C’est bien connu : pour le juriste, l’avocat, le latin vit encore. C’est le dernier à l’utiliser couramment, à travers des termes et expressions comme « in limine litis », « ultra petita », « accipiens », « solvens », « ad probationem », « ad validitatem », « affectatio societatis », « usus », « fructus », « abusus », « de cujus », « in solidum » …

Sans parler des fameux adages latins faisant encore parfois irruption au détour d’une plaidoirie d’un avocat octogénaire : « fraus omnia corrumpit », « nemo auditur propriam turpitudinem allegans », « in dubio pro reo ».

Conclusions : les avocats se comprennent entre eux. N’essayez pas de les comprendre. C’est peine perdue. Laissez-les s’occuper de vos affaires devant le TPE dans lesquelles les juges rendront des OPP, laisser-les « interjeter appel devant la CA » ou « faire un pourvoi en Cass ». Laissez-les parler latin, ça leur permet d’oublier qu’ils ont parfois perdu leur idéal originel. Laissez-les parler un vocabulaire inaccessible, ça leur permet de se conforter dans l’illusion selon laquelle leur profession est supérieure à celle des autres alors qu’ils sont souvent nuls de nullité absolue (ils ne soulèvent pourtant jamais cette exception de nullité, puisque, si vous nous avez suivis, « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »). Et n’oubliez pas qu’en « dernière instance », le client est roi.